L’histoire a beaucoup à nous apprendre
Introduction:
Je suis persuadé que ce mémoire sur l’histoire de Canon Production System (CPS) vous aidera dans la mise en œuvre de l’Excellence Opérationnelle d’aujourd’hui.
Voici cette histoire :
Au premier semestre 1975, Canon a subi, pour la première fois depuis sa cotation en bourse, une perte due à la crise pétrolière et à l’échec de ses ventes de calculatrices. Canon s’est fixé d’une part, des objectifs d’urgence afin de redresser la société :
- Recentrer ses activités dans le but de réduire les dépenses
- Rendre plus compétitifs les nouveaux produits tels que les appareils photos et les photocopieurs,
D’autre part, Canon a étudié un projet d’entreprise d’excellence au niveau mondial.
Ce projet d’entreprise d’excellence était l’idée de Monsieur KAKU, ex-Président du conseil d’administration, qui était à l’époque l’un des directeurs administratifs du groupe. Le projet consistait à révéler les points faibles de Canon, en effectuant une étude comparative des meilleures entreprises mondiales de l’époque, et se donner comme objectif de les égaler ou de les dépasser. Canon a alors relevé le défi de devenir d’abord une entreprise d’excellence au Japon, puis au niveau mondial.
Afin de concrétiser cet objectif, Canon a déployé les méthodes suivantes :
- Création d’une nouvelle organisation répartie selon le type de production, et gérée comme une société indépendante.
- Établissement de systèmes d’amélioration de l’organisation :
- Le système de Développement et de recherche Canon (C.D.S)
- Le système de Production Canon (C.P.S)
- Le système de Marketing Canon (C.M.S)
De façon synthétique, la réussite du CPS est due à la reconnaissance de la formation des managers de terrain, et à la réduction des niveaux hiérarchiques, permettant aux managers de travailler plus facilement. C’est grâce à cela que Canon, à partir de ce moment, et sur quelques années, a réalisé une augmentation de 30% environ de sa productivité.
La productivité :
Il existe deux méthodes pour augmenter la productivité. La première est la modernisation des machines et installations, l’autre est basée sur l’accroissement de l’efficience du travail. Toutes les deux sont indispensables, complémentaires, et ne peuvent être négligées.
Canon, à l’époque, avait mis uniquement l’accent sur la modernisation alors qu’il existait aussi un retard dans le domaine des études relatives à l’augmentation de l’efficience du travail. Autrement dit, les usines Canon n’étaient pas gérées de façon scientifique(1). Lorsque la productivité de celles-ci a été mesuré, le constat de la performance générale fut de 50 à 60% pour les ateliers jusque-là estimés bons, et d’environ 30% seulement pour les autres. Canon a alors décidé de l’implantation d’un système de gestion scientifique dans toutes ses usines, afin de rendre plus efficient le travail du personnel.
Formation des managers de terrain :
Comme il est expliqué précédemment, le manager de terrain est l’homme clef dans l’évolution de l’efficience du travail. Canon a donc procédé à la formation de ses managers de terrain, basée sur l’Industrial Engineering(2).
Canon organise alors plusieurs stages d’une durée de 60 heures continues, entre lesquels les stagiaires mettent en pratique sur leur propre ligne de production ce qu’ils ont appris. A la fin de cette formation étalée sur 3 mois, chaque participant expose le résultat obtenu devant ses supérieurs hiérarchiques.
Au cours de chaque stage, les managers de terrain étudient les méthodes d’analyse des pertes. Une fois l’atelier géré de façon scientifique, il leur est alors possible de quantifier clairement le travail utile et inutile. Les stagiaires peuvent ensuite non seulement réduire ce dernier, mais aussi valoriser davantage le travail utile dont on ignorait l’éventualité d’amélioration. Lorsque la personne a obtenu cette capacité d’amélioration, Canon estime qu’elle a acquis le Motion Mind(3).
Nécessité du Motion Mind :
La chose vraiment essentielle dans l’Industrial Engineering, est le « Motion Mind » sur l’amélioration de la technique. Le Motion Mind est la connaissance profonde de l’étude analytique de l’attitude, d’un geste ou du mouvement. Si le leader détient le Motion Mind, il sera capable de découvrir au moins 4 ou 5 problèmes à chaque visite de son atelier. Si tous les managers de terrain acquièrent ce Motion Mind, alors nous serons en présence d’un énorme potentiel d’augmentation de l’efficience du travail.
Canon a acquis une certaine expérience dans ce domaine. En un an, Canon a doublé la productivité de fabrication des appareils photo AE-1, sans changer de ligne de production, sans modifier l’effectif et sans aucun investissement.
Cela n’a pas pu être réalisé sans efforts du manager de terrain qui, dans un esprit de « Motion Mind », observe le lieu de travail afin de découvrir les points d’amélioration, aussi minimes soient-ils. Ce travail est réalisable uniquement par celui-ci, toujours présent aux abords du lieu de production.
A propos du comportement de l’homme, A.H. MORGENSEN souligne les 3 tendances suivantes :
- L’homme accepte difficilement le changement imposé par autrui.
- L’homme se révolte contre l’innovation.
- L’homme est contrarié par la critique.
MORGENSEN en conclut que, si un Industrial Engineer essaie d’améliorer le travail sans tenir compte de ces tendances, alors aucun projet n’aboutira.
Création d’un environnement adéquat au manager de terrain :
Le plus important dans la gestion d’une entreprise est l’augmentation de la compétence du manager de terrain, qui doit être le principal acteur dans l’amélioration de la productivité. L’obtention de ceci ne sera possible qu’avec la création d’un environnement adéquat. Pour cela la définition et la formalisation du rôle du manager de terrain ainsi qu’une sensibilisation à ce rôle auprès des autres personnes de l’entreprise sont nécessaires. En effet, il s’agit de créer un climat favorable afin de poursuivre dans les meilleures conditions possibles l’amélioration de l’efficience.
Il existait sept ou huit niveaux hiérarchiques dans les sociétés de moyenne et grande importance, y compris Canon, à cette époque, alors que 4 ou 5 niveaux suffisaient. Il n’y a aucun intérêt à en avoir plus. A cause de ces nombreux niveaux hiérarchiques, règne une mauvaise circulation des informations. Plus le nombre de niveaux est important, plus le nombre de managers augmente (de 4 à 5 fois plus). Cette augmentation a une conséquence plus grave : le glissement du rôle du manager vers des tâches de simple exécutant.
En effet lorsqu’une personne a l’intention d’effectuer quelque chose, elle a besoin d’obtenir l’accord de la hiérarchie supérieure. Si cette hiérarchie est composée de nombreux niveaux, cela rend le retour de l’information lent et difficile, et a pour effet de démotiver le demandeur. La multiplication des niveaux provoque aussi un empiétement des devoirs. La réduction des niveaux hiérarchiques à quatre, donne une vision plus claire du rôle de chacun.
Lorsqu’on s’attaque à la réduction des niveaux hiérarchiques, on s’imagine que l’étendue du travail du manager de terrain, va être équivalente à la somme de travail des managers de 3 niveaux : Chef adjoint, chef de bloc et leader par exemple. Comment le manager de terrain pourrait exécuter le travail de ces personnes ? C’est tout à fait le contraire, c’est parce qu’il y a plus de monde que le travail devient plus lourd. Le travail qu’une personne seule peut facilement accomplir devient vite chargé et difficile lorsqu’il y a trop de personnes pour l’exécuter.
Bien qu’il y ait des raisons historiques à ces 7 ou 8 étages hiérarchiques, l’histoire a montré que leur réduction à 4 ou 5 niveaux est possible. Canon a donc effectué parallèlement, une formation des manager de terrain et une diminution des niveaux hiérarchiques de 8 à 5.
Le manager de terrain :
Le terme utilisé chez Canon pour cette personne est le Superviseur, car Canon ne voulait pas d’un titre reflétant une idée préconçue du travail. (Le terme souvent utilisé, défini dans la convention collective est Agent de maîtrise, Contremaître…)
Il n’est pas possible pour une personne seule de gérer une entreprise. Le PDG, quelle que soit sa compétence, ne peut pas augmenter la productivité en dirigeant directement chaque opérateur. Cependant, le manager de terrain, lui, a la possibilité de le faire. Par conséquent, ceci est bien le travail du manager de terrain.
L’efficience de travail ne peut augmenter que sur l’initiative d’une personne ayant de la bonne volonté. C’est pourquoi, une société est gérée par une équipe de nombreux managers. Chacun d’eux a sa propre imputabilité de la gestion que les autres ne peuvent pas assumer. La croissance de l’efficience du travail est sous la responsabilité du superviseur. Voilà pourquoi Canon considère le superviseur comme un manager de terrain.
Le manager est responsable de la rentabilité de la même façon que le PDG. Il doit veiller au développement de la société et à l’augmentation du bénéfice, le manager de terrain doit pouvoir améliorer la productivité de sa ligne de production. Il incombe donc à tous les managers d’accroître le niveau de leur équipe. Chaque superviseur est responsable de l’augmentation de l’efficience de travail, et doit parvenir à l’objectif qui lui est demandé.
Le manager réalise aussi sa gestion en s’appuyant sur autant de personnes que possibles. Un manager qui ne délègue à personne est un mauvais manager. Déléguer à quelqu’un signifie se servir de ses subordonnés ainsi que de ses supérieurs. La tâche des superviseurs est de rendre facile le travail de leurs subalternes.
方針管理: Hoshin Kanri (5) (Déploiement de Politique):
Lorsque les managers de terrain acquièrent le Motion Mind et leur environnement de travail adéquat, il reste au directeur d’usine, à communiquer aux autres directeurs son objectif, dérivé de la nécessité de gestion de la société. C’est à partir de celui-ci que chaque directeur établit avec précision son objectif propre. En effet le principe(4), le but et l’objectif initial du directeur d’usine sont répartis avec précision selon toute la hiérarchie et ce, jusqu’aux managers de terrain. Cette application s’appelle le Hoshin-kanri.
Chez Canon, les indicateurs de l’objectif annuel sont établis au début de l’année et une fois par mois, au niveau de la direction et des services, est analysée et solutionnée la différence entre la réalité et l’objectif, si elle existe. Cette réunion est appelée la réunion du comité CPS.
Conclusion :
La clef de l’augmentation de la productivité est de positionner le manager de terrain au centre des activités d’amélioration. La réalisation de cela s’effectue en suivant les étapes ci-dessous :
- Formation des managers de terrain afin de leur permettre l’acquisition du Motion Mind.
- Réduction du nombre de niveaux hiérarchiques afin de faciliter le développement des capacités de management des managers de terrain.
- Application du Hoshin-kanri et le management par objectif, y compris pour les managers de terrain.
Si les managers de terrain réussissent à posséder de telles capacités, alors il sera possible d’accroître la productivité d’une façon importante sans grand investissement dans l’équipement.
En dernier lieu, je vous présente ci-dessous les bases de philosophie du groupe Canon depuis sa fondation :
Kyo-Sei : Selon Canon, le développement d’une entreprise ne se justifierait pas s’il ne contribuait pas à la prospérité du monde, au bonheur des Hommes et à une meilleure communication entre eux influençant profondément notre comportement et nos méthodes. Le Kyosei, terme japonais qui signifie « vivre et travailler en harmonie pour le bien-être commun ». Il donne un sens à la mission, aux objectifs, à la culture que l’entreprise s’attache à développer chaque jour et permet à chacun des collaborateurs de viser, plus que la performance, l’excellence.
L’esprit de San-ji (Esprit de Trois Soi), fondement des principes directeurs de Canon qui ont été transmis depuis sa fondation, ils sont l’auto-motivation, l’autogestion et la conscience de soi. Les Trois Soi continuent de servir de principes directeurs les plus importants de l’entreprise.
Jihatsu : [Auto-Motivation] Prenez l’initiative et soyez proactif en toutes choses.
Jichi : [Autogestion] Conduisez-vous avec responsabilité et imputabilité.
Jikaku : [Conscience de soi] Comprendre sa situation et son rôle dans toutes les situations.
Ces crédos posent les bases de philosophies de Canon qui présentent la ligne de conduite de chaque salarié et qui se traduisent par des politiques ou stratégies de la direction.
Koshi IIYAMA
Co-fondateur du cabinet de conseil et de formation Axium-Performance
Ex-Responsable du Canon Production System à Canon Bretagne
- : Analyse de perte, Temps standard, Indicateurs de productivité, Efficience, etc…
- : Chrono-analyse, Observation instantanée, Jugement d’allure, Analyse de processus, Etude du temps et du mouvement, etc…
- : La définition de la norme japonaise : JIS Z 8141 : Motion Mind : Capacité à identifier les problèmes rencontrés lors du travail et acquérir l’attitude de poursuivre en permanence la recherche de méthodes plus efficaces.
- : Ligne de conduite dans le temps (éthique, valeurs, crédo, etc…)
- : Un système qui permet de s’assurer du déploiement correct des objectifs de la société à chaque niveau hiérarchique en incluant la participation de l’ensemble des employés. https://www.lean-university.com/lexique