Masaaki Imai nous a quittés en juin 2023, à l’âge de 92 ans. Il a popularisé dans le monde entier le KAIZEN, à travers ses livres et ses conférences. Kaizen Institute, qu’il a fondé en 1985, est présent dans 38 pays, sur tous les continents. Je l’ai bien connu pendant que j’étais consultant à Kaizen Institute France et initiateur de Kaizen Institute Romania. Pour lui rendre hommage, je partage ici quelques anecdotes inédites le concernant.
Episode 1 – Une Usine « Potemkine » ?
J’ai accompagné Masaaki Imai dans un Kaizen Study Tour qu’il animait, au Japon, en 1999. Nous avons visité plusieurs usines, dont Yoshiwara Plant, qui fabriquait les 4×4 Toyota Land Cruiser et les 4×4 Lexus.
Parmi les participants il y avait, comme souvent, un directeur d’usine sceptique, qui n’arrêtait pas de contester et mettre en doute les informations reçues, et plus particulièrement de « chercher la petite bête » partout. Chez Toyota il trouvait que les ouvriers bougent trop vite (conditions de travail…), qu’il y avait trop de bruit en tôlerie (idem), etc.
Et voilà que chez le fabricant de bougies automobiles en céramique NGK à Nagoya, il a cru démasquer la supercherie.
L’usine travaillait avec de la céramique en poudre ultrafine, qui était distribuée par un énorme réseau de tuyaux, alimentait des machines de moulage et usinage, etc. Et pas un seul grain de poudre dans l’air, ni sur le sol, ni déposé sur les machines. C’était comme dans une pharmacie. Pour avoir visité des usines travaillant avec des poudres en Europe (farine, lait en poudre, levure), je savais qu’il est très difficile d’assurer une étanchéité parfaite et éviter les fuites et la poussière. Ici, non seulement la poudre était totalement absente, mais aucune autre forme de salissure n’était visible. Cela tombait bien, le thème de la visite était la TPM.
Soudain, dans un atelier, on voit notre contestataire en chef se mettre à quatre pattes, regarder sous une machine, heureux d’avoir enfin découvert sa petite bête (une grande, en fait !) : « Voilà ! Une grosse fuite ! », cria-t-il victorieux. Nous nous sommes penchés à notre tour et, en effet, sous la machine, le sol ressemblait à une marre, immobile, dans laquelle se reflétait le dessous de la machine. Il s’agissait en fait du sol peint, parfaitement propre et brillant comme un miroir. Les allées autour, sous l’effet des innombrables pas, étaient propres aussi, mais d’un aspect naturellement plus mat, d’où le contraste. Notre camarade grognon devint tout rouge, et Imai lui dit avec un sourire indulgent : « Vous croyez que je vous fais visiter des usines Potemkine ? »
Episode 2 – Le bon sens et le sens…de l’humour !
Masaaki Imai s’est fait connaître en France avec la publication, en 1997, de son livre « Gemba Kaizen, l’art de manager avec bon sens ». Pour le moment, j’aborde la deuxième partie du titre : l’humour !
On sait moins que Masaaki Imai, conférencier réputé et homme réservé, discret et pudique, avait un solide sens de l’humour. Il racontait souvent des histoires drôles en marge de ses séminaires, même un peu coquines, quelquefois, après s’être assuré que personne, dans l’assistance, n’était susceptible de s’offusquer.
Dans ses conférences, il n’hésitait pas de se mettre en scène, parfois dans des postures guerrières pour simuler les « chasses aux Muda », même s’il était profondément pacifique.
Il glissait souvent des blagues dans ses discours. Comme il faisait le tour du monde avec ses conférences, toujours en anglais, chaque fois qu’il arrivait dans un pays qu’il découvrait, il demandait avant la conférence de s’entretenir avec la traductrice instantanée (ou le traducteur). Ceci, dans le but de lui raconter les blagues qu’il avait prévu de faire, pour vérifier si elles étaient compréhensibles dans la langue locale, et le contexte du cru.
En effet, tous les jeux de mots ne sont pas traductibles, et le sens de l’humour varie selon la culture des différents peuples. J’en veux pour preuve cette petite blague le concernant, qu’on faisait affectueusement à l’Institut Kaizen France, en pastichant la publicité d’une marque de moutarde bien connue localement : « Il n’y a qu’Imai qui m’aille » !
Essayez donc de traduire cela à une personne qui ne parle pas le français et n’habite pas en France ! Paradoxalement, l’auteur de cette parodie était un consultant… allemand, francophone, qui travaillait en France : Günther Raschke. Il nous a quittés lui aussi cette année, au même mois de juin. RIP
Episode 3 – Masaaki Imai s’est évaporé !
Le 22 septembre 2004 j’étais à Timisoara – Roumanie, en compagnie des deux co-directeurs du Kaizen Institute Romania pour préparer une conférence de Masaaki Imai et une série de visites d’usine.
Je reçois un coup de fil de Risa (la fille de Masaaki Imai), inquiète, qui me dit avoir été appelée par son père de l’aéroport de Timisoara, étonné de ne pas avoir été accueilli comme convenu. Etonné à mon tour, je lui dis qu’on attendait son père le lendemain, la veille de la conférence. Aucun de nous n’a pu avoir Imai sur son portable : il était sur messagerie.
Nous avons donc foncé à l’aéroport. Aucune trace de notre sensei. Interrogés, policiers et douaniers nous ont dit qu’en effet, ce monsieur était bien arrivé. Qu’aurait-il pu faire ?
Nous avons rejoint la file de taxis à la sortie et les avons questionnés un par un.
En effet, l’un d’entre eux avait bien pris un homme d’un certain âge (74 ans à l’époque) répondant à la description. Il lui avait demandé, en anglais, de le conduire à un grand hôtel disposant d’une salle de conférences. « Le Continental ? » avait demandé le chauffeur. « Oui, ça doit être ça ».
Nous avons donc foncé à l’hôtel. C’est là que la conférence était prévue, et que la chambre lui avait été réservée pour le lendemain.
Arrivés au Continental, nous l’avons trouvé accoudé tranquillement au bar. Souriant, il nous a dit qu’après vérification, il s’était, en effet, trompé de jour. Mais que, fidèle à ses enseignements il s’est dit « Welcome to problems ! Chaque problème est une opportunité d’amélioration. J’ai appliqué « Les 5 Pourquoi » et dorénavant je ferai des doubles check ». Quant à l’hôtel, la seule information qu’il avait était que sa chambre était prévue dans l’hôtel qui allait accueillir la conférence. Le reste, c’était juste un processus de résolution de problèmes ! Et le résultat avait été « Bon du premier coup », encore une attitude qu’il fallait viser en permanence, selon lui ! *
Episode 4 – Quand Masaaki Imai vous fait rater le déjeuner
La plupart des conférences de Masaaki Imai étaient suivies par plusieurs centaines de personnes. La fin de celle-ci, qui ne fait pas exception, est prévue pour midi. Une séance de dédicaces de son livre « Gemba Kaizen, l’art de manager avec bon sens » aura lieu par la suite. Nous avons prévu large, une heure pour les dédicaces, et réservé le déjeuner pour 13 heures, dans un bon restaurant européen, juste en face de la salle de conférences.
Mais nous n’avons pas prévu que presque tous les participants avaient acheté le livre, certains en plusieurs exemplaires, et attendaient leurs dédicaces !
Masaaki Imai, patient et imperturbable, a passé avec chacun le temps qu’il fallait pour échanger et signer.
Vers quatorze heures moins le quart nous avons été contraints d’annuler le déjeuner. Une bonne demi-heure plus tard, sur le trottoir, je lui dis, sur un ton léger pour dédramatiser : « Imai San, nous avons dû annuler le déjeuner. C’était un repas à l’européenne, sans baguettes ». « Ce n’est pas grave, me répondit-il. Nous allons bien trouver un sandwich quelque part ! Comme ça, pas besoin de couverts ! »